Je
vais présenter les etxe des mahisturu dans le cadre de
leur montage et de leurs assemblages. Je vais me limiter aux
ossatures les plus courantes ainsi qu’aux modalités de
liaison des pièces qui les composent.
Des
formes premières :
L’ethnologie
suggère que le les premières formes d’habitation furent des abris
où le végétal joua un rôle fondamental, probablement associé à
des peaux, à des formes de tissages, etc. L’archéologie semble
l’approuver. Les rapports avec la forêt imprègnent encore de
rares mythes. Ils ont des résonances bibliques ; c’est le cas
de l’étrange récit de Lekeitio, rapporté par Azkue dans son
classique « Euskalerriaren yakintza » (n° 156,
tome II, 3° édition). Son informatrice lui conta une époque
qualifiée d’ancienne (antxina), où le bois de chauffage
venait de lui-même de la forêt à la maison (egurrak euren kabuz
etorri oi ziran baso ta oianetatik etxêtara). A une occasion,
dans une etxe, se trouvèrent face à face, dans l’escalier,
une vieille femme et des branches de chêne. Lorsqu’elles se
croisèrent un incident eut lieu qui fit que cette vielle femme, qui
n’avait pas la langue à la poche, brisa le pacte. Dès lors, le
charme fut rompu et l’homme dut aller chercher le bois en forêt.
C’est
dans ce genre de contexte que les premières formes d’habitations
dressées furent pourvues d’assemblages liant entre elles des
formes naturelles (des départs de branches, des
ramifications …) grâce à des liens de nature végétale. La Fig.
0 qui est une tentative de restitution d’une habitation
de l’âge du fer, montre cet aspect. On y voit des assemblages par
des liens de nature végétale. Notez le poteau central qui monte de
fond jusqu’au faîte du toit, la couverture végétale ménageant
un trou d’aération.
Fig. 0 |
Les
maisons du premier millénaire associées au piémont pyrénéens,
sont en général étroites et allongées, de l’emprise d’une
borda. Si l’on s’attache aux bois porteurs, on voit
qu’elles montrent grossièrement deux types de structures :
dans l’une, les murs sont parfois pourvus de poteaux (enfoncés
dans le sol ou posés sur des solins) portant les éléments de la
charpente de toit ; dans d’autres les poteaux, reposant sur
des pierres plates, sont liés à la charpente ; ils doublent
des murs de moellons assemblés sans mortier et surmontés d’adobes
(briques crues). Le sol est fondamentalement d’argile battue et la
toiture semble avoir été de chaume. Couplé aux modes supposés
d’habitation ainsi qu’aux données d’urbanisme, les
spécialistes sont portés à voir dans ces « établissements
humains », outre les types indigènes déployés en terrasses
sur des sites de type gaztelu, des habitats marqués par
l’influence « celte » ou conforme à des modèles que sont
des villes ibériques fouillées sur la côte méditerranéenne.
Par
la suite, les constructions vont développer le double impératif :
-
Préserver l’espace habité des intempéries comme des remontées d’humidité et évacuer l’eau pouvant faire intrusion dans les habitations : le sol de l’eskaratze sera en pente vers l’extérieur et parfois pourvu d’une modeste rigole centrale ; dans les etxe à ossature de bois, un drain sera construit, soigneusement bâti en dalles (soit en périphérie de la construction, soit traversant le sol de l’eskaratze).
-
Assurer la stabilité du bâti susceptible de recevoir des charges variables (récoltes) et devant résister à l’emprise des vents (orientation du bâti, façade aveugle et avant-toit en rapport, liens de contreventement). Disposer de bois fiable, de taille adéquate et correctement liés.
Ces
constructions seront nécessairement tributaires des matériaux
disponibles et donc d’une meilleure connaissance des propriétés
des bois, des progrès de l’outillage, etc. ainsi que des échanges
entre constructeurs, des effets des modes…
Il
faut cependant ne pas se faire une image péjorative où toute
construction serait nécessairement le fruit d’un « bricolage »
quelconque. On est dans l’ignorance absolue de ces temps anciens.
A ce sujet et à titre de simple curiosité, Origène, qui vivait à
cheval sur les IIe et le IIIe siècles ap. J-C,
commentaire le prologue de saint Jean où l’auteur attire
l’attention sur l’ordre qui se déploie dans les choses du monde.
Il écrivait ceci : « on ne construit pas une maison ou
un navire sans suivre les plans de l’architecte, et cette maison ou
ce navire, n’a d’autre principe [ou préexistence] que les
plans et les calculs de l’artisan ». Or en Pays Basque on
devait construire etxe et surtout des navires de diverses
sortes si l’on en juge par la réputation des Basques à l’entrée
de l’époque médiévale dominée par les rois Plantagenet qui
avaient à Bayonne l’un de leurs grands chantiers navals.
Les
etxe à ossature de bois édifiées selon un « plan
basilical » (1) représentent des modèles élaborés qui ne
sont probablement pas antérieurs au XIVe siècle si j’en
juge par l’enquête de 1249 en Labourd, publiée par Orpustan. Je
voudrai souligner au passage deux points d’importance dans le cadre
de son travail :
1)
il ne peut que noter : « le prix, variable selon son
importance et sa notoriété —mais étonnamment
modeste au regard d'aujourd'hui comparativement à celui du bétail—,
d'une maison avec tous ses outils, d'un moulin » etc. Ces
prix qui sont des plus modestes (comme je le signalai par ailleurs)
résultent de quatre facteurs au moins :
-
l’abondance des forêts dans le Pays Basque de l’époque
-
la gratuité de la matière première (le bois est gratuit pour les auzo sur leurs communaux)
-
la construction qui s’inscrit dans le cadre de l’auzolana (l’entraide régulée si ce n’est codifiée)
-
la simplicité des techniques de constructions sans commune mesure avec le savoir des mahisturu ((il suffit pour s’en convaincre d’assister aux restitutions proposées par les archéologues)
Les
avancées technologiques conduiront aux etxe à ossature de
bois longs qui fleuriront sous l’emprise des mahisturu des
XIV-XVe siècles (?). Mais ce ne fut pas là une
rupture ; des savoir-faire persisteront. Cet essor s’inscrit
dans une continuelle évolution. Pour reprendre ce qu’écrivait
Focillon en 1938, à propos de l’essor des arts plastiques du
quattrocento dans quelques républiques italiennes, dont Florence :
« en fait, des maîtres profondément attachés à l’esprit
et aux formes du Moyen Age persistent à côté des novateurs, dont
ils n’ignorent pas, d’ailleurs, les recherches, et ces derniers
eux-mêmes plongent dans le passé par tout un aspect de leur
génie ». Tout cet aspect, suspecté en bien des domaines,
reste à identifier formellement …
2)
l’étude de ce précieux document permet également de souligner
que : « en dehors des noms en général basques du pays
intérieur ou de Haute-Navarre, le document cite de nombreux noms de
personnages venus des zones aujourd'hui « landaises ». Comme on le voit … il n’y a pas que les établissements humains
qui furent Vascons …
Compte-tenu
de ces deux points, un problème reste entier (faute d’études
adéquates ?) : quelle est l’origine de l’architecture
vernaculaire vasconne ? Pour aborder ce problème il nous
faudrait une vue globale qui tienne compte de l’habitation
gasconne. En effet, si les Basques du Zazpiak bat sont largement les
héritiers des Aquitains, on ne saurait oublier que les Gascons sont
issus du même héritage ; mais ils se sont diversifiés à
leur façon et doivent être étudiés en conséquence.
L’histoire nous fait connaître ces Aquitains romanisés, sous la
forme de peuplements. Pour les approcher, le critère linguistique
pèse d’un poids excessif. Il est éreintant (distrayant ?)
d’assister aux querelles linguistiques, tournant à l’idéologie,
entre Gascons et Occitans, s’échinant à tracer besogneusement
d’absurdes « frontières », entre eux et entre eux tous
et nous. Leurs cloisons étanches font l’impasse sur tant et tant
d’autres dimensions du peuplement (anthropologie biologique, droit,
mythologie, mise en forme des sociétés, ethnologie ...).
L’observation de terrain montre cependant clairement, qu’il
existe une nappe fluctuante d’architecture vasconne laquelle se
moque de toute sorte de frontière (étatique, administrative et
idéologique). Elle signifie une personnalité affirmée qui s’est
construite en se démarquant, à l’évidence, de celle de
l’Occitanie toulousaine.
Il
doit y avoir bien d’autres traits originaux qui sont de cette
nature. Bien entendu, les rechercher ne niera en rien la dimension
occitane prise par cette culture.
Des
contextes peu connus.
La
charpenterie évolua à travers la robustesse des supports formant
l’ossature et par la cohésion et par là, la fiabilité des
assemblages. Cette dernière fut largement fonction de la précision
et de la qualité du modelage des pièces destinées à s’engager
les unes dans les autres. On aurait donc aimé avoir des données sur
l’outillage utilisé, or c’est là un domaine largement
inconnu.
1
En
ce qui concerne l’assemblage. Alors que les Romains s’aidaient de
clous, les plus anciennes ossatures de nos etxe en étaient
dépourvues ; de même elles ignoraient les ceintures de fer que
les maçons mettaient en œuvre dans les grandes constructions (y
compris dans des cathédrales, ce que l’on a découvert récemment).
Nos etxe de maçons semblent en avoir été pourvues
relativement tôt. J’ai pu voir cela sur place, sans pouvoir
préciser.
De
façon générale, il est admis que l’outillage aurait connu des
progrès décisifs (tant en qualité qu’en variété), tout au long
du premier moyen-âge et notamment dans le secteur de la menuiserie.
Autour du XVe siècle, le passage du fer à l’acier
aurait permis de fabriquer des outils larges et durs (des scies, des
passepartouts …). C’est alors qu’en Europe du nord (qui fut
particulièrement étudiée), et selon les endroits étudiés, on
constate une étrange convergence : des modes d’assemblages
élaborés, robustes et standardisés se répandirent parallèlement
à l’emploi de modules… Or :
1)
durant l’Ancien Régime, les Basques exportèrent l’un des
meilleurs fers et aciers d’Europe (voir les travaux de E.
Goyheneche) … A titre de curiosité, Guipuzcoa et Biscaye avaient,
à cette époque, quelques 300 forges produisant 10 % du fer de
toute l’Europe. Cette industrie semblait suffire aux locaux ;
aux XVI-XVIIe siècle, la ville de Bayonne
s’approvisionnait en armes fabriquées notamment dans les forges
d’Ainhoa et de Sare (voir Blay de Gaïx, etc.).
2)
les habitations à ossature de bois et plus encore, celles combinant
le travail des charpentiers et des maçons (à partir de la fin du
XVIe siècle), abondent en relations géométriques et
en modules (voir 7° partie).
2
Il
existe des cas difficiles à analyser faute de connaître l’histoire
particulière non seulement de chaque bâtiment mais du savoir-faire
des constructeurs, des contraintes imposées par l’économie,
l’impact des modes, etc. Ainsi, l’examen approfondi de nombreuses
etxe fait apparaître la présence régulière de maçonnerie
(du tout-venant) entre les portiques du rez-de-chaussée (voir les
autres parties). Outre les mécanismes décrits avec Bachoc, y
aurait-il peut-être là l’une des voies empruntées dans le relais
mahisturu-hargina qui se développe au cours du XVIe
siècle finissant ? Dans ce cas la maçonnerie aurait été
accessoirement employée dans le montage même de ces etxe ?
La recherche le dira.
Voici
deux exemples qui nous renvoient à des époques premières :
Fig.
1 : les deux niveaux des poutres soulignent le raccord entre
l’entrée (au premier plan) et le fond de l’eskaratze dont
le plafond est surélevé (pour le passage des fléaux). On notera la
précision du tracé qui a précédé le montage (publié par
ailleurs). Cette etxe labourdine de bois long, est située
dans des terres vouées à l’agriculture. L’eskaratze y
est une sorte de cour intérieure (voyez les larges ouvertures
du bas-côté nord, à droite). Elle réveille en nous les
spéculations fiévreuses de O’Shea comme les vues de Polge…
(mais qui lit ces auteurs ?).
Fig.
2 et 3 : deux documents assez exceptionnels se
rapportant au mode de cloisonnement en bois. Ce dernier est partie
prenante du montage de l’ossature, ces cloisons étant probablement
montées dans le même mouvement. Avec les aisseliers elles la
rigidifiaient et participaient, dans une moindre mesure, au
contreventement.
La
première figure illustre l’un de ces témoins ayant échappé aux
destructions. On y voit une cloison en bois ajourée, où l’on a
secondairement percé une porte. Il s’agit de la partie habitée
d’une superbe etxe de la montagne labourdine, typique du
XVIIe siècle.
Le
second exemple (etxe de bois long citée au moyen-âge) montre
la cloison de planches du grenier, montée, comme à l’origine,
dans les rainures des supports, ainsi que dans le poteau du portique
(au premier plan)
1°
les montages et leurs assemblages
Je
me limite à un échantillonnage de montages des plus courants,
rencontrés dans des charpentes jugées anciennes et probablement
« médiévales ». Elles durent être dressées (en
général), autour des XIV-XVe siècles (?), mais
cette estimation n’est fondée que sur des intuitions. Leur grande
ancienneté est estimée sur la base d’intuitions qui sont celles
de charpentiers de métier. Voyons d’abord un problème
actuellement insoluble, puis examinons des assemblages de type
médièval.
Base
des portiques :
Les
etxe sont sans fondation. Posées sur le sol, parfois la roche
fait irruption dans les pièces et leur sol en tient compte. Une etxe
abattue ne laisse aucune trace.
J’ai
décrit les modes de levage mis en œuvre chez Urruty et qui sont des
plus traditionnels. Pour les temps anciens, nos discussions
n’aboutirent qu’à approfondir notre ignorance. Nous n’avons
guère d’idée formelle sur les engins et procédés mis en
œuvre pour lever les ossatures et même pour y intervenir parfois
radicalement (en reprenant des portiques, pour y changer des poutres,
etc. comme on le voit effectivement).
Fig.
6-1 : vestige de l’un des plus anciens portiques
rencontrés à ce jour, si l’on en juge par son état, par la
structure de l’etxe de bois long, citée dans une liste de
1505 et qui fut souvent réparée, notamment à des époques où l’on
mettait en œuvre la technique des bois courts. Bien que l’extérieur
de l’etxe ait une chemise de maçonnerie, son allure
générale, ses réparations « à l’identique »,
attirent immédiatement l’attention du chercheur. Dominant toute la
contrée, dont un lotissement seigneurial, son emplacement est celui
d’un site remarquable, proche d’un gaztelu de type « camp
de César », doublé d’un site minier attesté au moyen-âge
(et fournissait des armes à Bayonne).
Cette
base de poteau est fortement détériorée. Elle a dû être changée.
Son bois est sec, filandreux, fortement crevassé et brun-noir. C’est
celui d’un tronc éclaté et non équarri à l’herminette. On
note 2 puissantes traces d’assemblages d’un couple d’aisseliers,
à demi-queue d’aronde et chevillage (à gauche). A droite
on voit l’encoche classique de la base du poteau (*) lequel
reposait tel quel sur un socle de pierre. Cette entaille est
énigmatique.
Lors
de démolitions, J-B. Urruty a vu une tige métallique solidarisant
cette base avec le socle de pierre, l’empêchant de chasser et de
compromettre la stabilité de l’ossature.
Fig. 6-1 |
Fig. 6-2 |
Cette
entaille, souvent une profonde mortaise (sur les pièces les plus
anciennes ? voir Fig. 6-1) ou une entaille d’angle
(Fig. 6-2), est retrouvée dans tous les portiques.
Elle doit faire partie d’un ensemble de traces, sans emploi actuel
dans l’ossature (comme ces courtes consoles en relief sur des
piliers). Il doit s’agir là d’artifices temporaires, utilisés
lors du levage des ossatures liées au sol (afin, par exemple, de
maintenir l’écart entre les bases des portiques dont les parties
hautes sont liées par poutre et entrait).
Cette
pièce assurément médiévale (Fig. 6-1), pourrait être
contemporaine du plus ancien reste de l’imposante imposant ossature
de cette vieille etxe superbement restaurée par une équipe
de charpentiers labourdins fidèles à l’enseignement des anciens
(cette partie est largement pourrie et dut être retirée).
Aperçu
sur les montages
Dans
le cadre des montages/assemblages, deux grandes situations seront
illustrées :
-
la liaison entre extrémités des pièces taillées qui doivent être parfaitement complémentaires et s’ajuster au mieux aux forces s’exerçant à leur niveau.
-
la liaison entre un bois porteur et un bois porté.
L’ossature
montée, l’assemblage ne doit pas contrarier sa stabilité ;
il doit participer à sa pérennité, et s’intégrer dans la
circulation des forces parcourant les fibres. En effet, l’ossature
est un être vivant qui est parcouru par les forces de traction, de
compression et de cisaillement. L’assemblage doit donc permettre à
ces forces de s’exprimer selon le fil des bois tout tenant compte
de la réserve de matière disponible ou laissée en place. Autrement
dit, l’assemblage doit pouvoir canaliser les forces ou s’y
opposer en s’intégrant dans la dynamique de l’ossature (d’où
ces liaisons conçues pour les fermer en boucle, etc.). J’ai publié
quelques données techniques à ce sujet, aujourd’hui bien connues,
elles furent introduites en Amikuze par l’atelier Urruty à
Masparraute.
Fig.
4-1 : cette figure résume les principaux types d’assemblages
attestés dans les charpenteries médiévales en Europe. On les
retrouve de façon systématique dans les etxe basques
qualifiées de médiévales, c’est-à-dire (je le souligne à
nouveau) non pas construites au moyen-âge (ce qui est à
démontrer), mais édifiées selon des principes mis en œuvre au
moyen-âge et postérieures aux XIV-XVe siècles, si j’en
juge par l’enquête de 1249 analysée par Orpustan.
Détaillons-les
:
En
Pays Basque abondent non pas des queues d’aronde, mais des
demi-queues d’aronde (ou encore entablures à demi-queue
d’aronde, ou queues d’aronde asymétrique à mi-bois,
etc.). Ce mode d’assemblage est rapporté dès le IV° siècle av
J-C. D’après Chapelot et Fossier, la queue d’aronde ainsi que la
demi-queue queue d’aronde (A), furent avec le mi-bois (C),
et l’embrèvement (D), les modes d’assemblage qui se
retrouveront préférentiellement dans les charpentes d’église
jusqu’au XIIIe siècle (dans la charpente romane
d’Ainhoa par exemple -voir 8° partie).
En
Pays Basque l’examen des demi-queues d’aronde permet de mettre
souvent en lumière des nombreuses interventions qu’il y eut sur
les ossatures (voir Duvert et Bachoc ; Bulletin du musée
Basque). Ces entablures furent utilisées et entretenues jusqu’à
nos jours. J-B Urruty en changeait, parfois en les retaillant ;
il en conservait des gabarits dans son atelier.
Elles
méritent que l’on s’attarde sur elles car bien de ces entablures
sont manifestement authentiques (anciennes) ; leur emploi était
courant car résistantes aux tractions (par leur ergot) ainsi qu’aux
compressions. Par ailleurs leur avantage saute aux yeux :
-
on peut les réaliser une fois les ossatures levées et les parties positionnées. Ces assemblages se voient ainsi sur les grands aisseliers lesquels, à la fois, servent de contreventement et de raidissement de l’angle formé par deux pièces assemblées en angle
-
on peut facilement les changer, dans désassembler les montages
-
les demi-queues d’aronde sont très diversifiées et marquées par les dialectes et les modes. C’est en Labourd que l’on voit les plus complexes, les plus sophistiquées et probablement les plus archaïques (?). Elles y sont particulièrement bien dessinées, avec plusieurs courbes se succédant, semées d’embrèvements. Les demi-queues d’aronde plus récentes et surtout les non labourdines (il suffit d’entendre les réactions des mahisturu), sont franchement sommaires (comparer Fig. l en Labourd qui est l’about d’un lien coupé à la sortie du poteau ; la main donne l’échelle, avec Fig. n en Garazi).
Le
tenon (B) est un relief dégagé en bout de pièce afin
de s’engager dans un creux complémentaire, ou mortaise.
Afin d’éviter que cet assemblage ne se désengage et afin qu’il
remplisse continuellement son rôle d’opposant aux forces de
compression, il sera chevillé (ex. dans les abouts de burutinak).
C’est un bien vieux système. Les ancêtres des tenons,
grossièrement équarris, sont connus au néolithique, de même les
tenons traversants immobilisés par une goupille (Fig. 5-1, série
Fig. 9). Ce mode d’assemblage sera perfectionné,
parallèlement à l’outillage. Dans la charpenterie européenne son
utilisation deviendra courante à partir du XIIe, alors que le bois
était désormais bien équarri ; une large variété s’imposera
vers la seconde moitié du XVIe siècle.
Fig. 5-1
|
Le
Pays Basque ne l’ignora pas, y compris dans ses formes
sophistiquées : mortaise à épaulements et chevillage, taillée sur
arête, etc. Cependant le mahisturu se démarquera de cette
tendance en ne le mettant en œuvre que dans des cas précis (voir
l’encorbellement : Fig. 10-1 à 10-6). Le
charpentier basque de l’ancien régime préférait nettement
l’assemblage par demi-queue d’aronde. C’est ainsi que dans
l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, si l’on voit toute
une gamme de tenons-mortaises et d’embrèvements, retrouvés
effectivement dans la charpenterie basque (au moins dans leur
principe), en revanche on ne peut qu’y noter la rareté de la
demi-queue d’aronde, si abondante chez nous (et aux formes si
élaborées). C’est ainsi que ce système tenon-mortaise ne se
substituera à la demi-queue d’aronde, pour se généraliser dans
la seconde moitié du XIXe siècle.
Fig. 10-1 |
Fig. 10-2 |
Fig. 10-3 |
Fig. 10-4 |
Fig. 10-5 |
A
ce propos, il n’est pas banal de signaler la situation d’un autre
pays montagnard, dans les Alpes. Dans la charpenterie rurale
genevoise, les poteaux (montant de fond, comme chez nous) dominent en
compagnie des assemblages à mi-bois ou à demi-queue d’aronde.
Roland, qui les étudie, dit que « c’est probablement au
cours du XVIIIe siècle que les assemblages
à tenon et mortaise s’imposent progressivement […] au
début du XIXe siècle, les queues d’aronde disparaissent au profit
des tenons et des mortaises ». Le Pays Basque s’inscrit
dans cette dynamique.
Fig. g |
FIg. 4-2 |
- La Fig. 4-2 montre une modalité où les deux pièces, de
section modeste, se recouvrent largement, leurs abouts s’assemblant
par de profondes tenons-mortaises (on a la même image, mais
symétrique, sur l’autre face). Les deux pièces sont en outre
assujetties par 3 chevilles placées à angle droit et qui semblent
bien être d’origine. Cette pièce (Fig. 4-2) était en
place sur une vieille etxe, laquelle, dans son ensemble
doit être antérieure au XVIIe siècle (exception
faite de son étrange volume, aujourd’hui « normalisé »).
On retrouve le même mode au XVIIe siècle (datation
s’accompagnant de la signature du mahisturu).
Fig. h |
- L’enture droite de traction (Fig. h) est plus stable
que l’enture droite à mi-bois. Elle s’oppose aux forces
de traction s’exerçant selon l’axe longitudinal ; ici (Fig.
h, flèche) elle est sécurisée par une goupille en bois, comme
l’est le chapeau du burutin.
Fig. 5-1 |
Fig.
5-1 : poteau de portique et assemblages :
-
a : avec la poutre dont l’extrémité affinée (= tenon traversant) traverse le poteau en se solidarisant dans son épaisseur par 2 chevilles (pointe de flèche), puis, en surface, par 2 clefs.
-
b : le mouvement relatif entre poteau et poutre est contrarié par un bras (b) assemblé à demi-queue d’aronde. Ce bras assujetti à son départ, la poutre montrée avec le poteau et portant le plancher de l’étage ; il contrarie aussi la flèche que pourrait prendre la longue poutre. Ce lien contrarie également les poussées verticales variables en fonction de l’importance du volume des récoltes
-
c : un about de traverse (ou console) maintenant l’écart en deux portiques (ce qui définit la travée).
Fig. 5-2 |
Fig.
5-2 : elle illustre ces assemblages sur un poteau cornier
édifiée sur le corps d’une etxe de Xareta construite en
1584. Son devis fut modifié au dernier moment afin de faire des murs
porteurs en lieu et place des portiques prévus (date et devis
descriptif très fouillé, évoqué par ailleurs). Ce procédé de
bois long est donc relativement archaïque (bon marché ?).
-
Poutre et sablière prennent appui d’une part dans le mur extérieur du corps central de l’etxe primitive (vers la droite) et d’autre part sur le poteau cornier où elles s’assemblent par des tenons traversants (*) que le temps a rongé. Ces pièces sont soulagées par des bras. Ceux du rez-de-chaussée furent supprimés ; on voit encore les traces d’assemblage (pointes de flèche), lesquels n’ont pas les belles formes complexes des anciens assemblages de ce pays.
-
La base du poteau (flèche) repose actuellement sur un montage de pierres et non sur un socle unitaire, ce qui est des plus étranges du point de vue de la stabilité de l’ensemble. J’y vois une possible réparation tenant du bricolage (on le voit ailleurs !). La tête de ce poteau n’est pas au contact d’une panne car la toiture fut remaniée.
-
On voit sur le poteau, la mortaise où s’engageait le tenon de l’ancienne jambe de force supportant l’avant-toit).
Fig.
5-3 : il existe des montages d’interprétation délicate.
En voici un où l’une des pièces a été sciée (hachures). Notez
cet assemblage complexe et particulièrement soignée.
Ces
vestiges proviennent d’une etxe globalement
antérieure au XVIIe siècle mais cette datation estimée
ne saurait s’appliquer à cette charpenterie, d’autant plus que
les bons mahisturu savaient (mais comment ?) remplacer
des parties, y compris des pièces porteuses. Et ceci nous conduit au
point suivant.
2°-les
portiques de bois long et de bois court
Montage
[entrait-poteau] :
Nous
touchons ici un problème des plus délicats. Cet examen nous met
face aux charpentes de toit, une partie associée à de multiples
réparations. Pire ! Elles furent souvent refaites à
l’identique et même en utilisant de vieux bois de récupération.
Je me borne à la typologie la plus courante.
Fig.
7-1 : etxe labourdine dont le portique de façade a
été secondairement inclus dans la maçonnerie. Sur la tête des
poteaux on voit l’assemblage avec la panne. Il s’agit d’un type
d’entablure d’angle en parement. Sur d’autres etxe
(publiées par ailleurs) il y a de telles entablures d’angle mais
crantées. Je ne m’attarde pas ici sur toutes ces variantes.
Gerner dit que « les entablures d’angle crantées ont
été pendant des siècles, des assemblages fort appréciés pour les
liaisons d’angle des sablières dans les ossatures à colombage ».
Cette remarque suggère qu’une etxe première a précédé
l’actuelle qui est tripartite et rhabillée largement de
maçonnerie. Extérieurement rien ne laisse supposer l’etxe
de bois long qu’elle inclut, si ce n’est l’allure générale
qui attire le chercheur (cet aspect de l’etxe qui est comme
agrippée au sol ainsi que les proportions de son corps central
premier).
Fig.
7-2 : dans cet assemblage, l’entrait (1) est porté
latéralement sur la tête du poteau comme la panne secondaire (2)
(doubles flèches). Le tout est sécurisé par des chevilles ;
certaines sont marquées (*). Cette tête de poteau est sollicitée
latéralement tant par l’entrait qui formait la sablière haute
(1), que par l’about de la panne secondaire (2)
Notez,
le départ d’un aisselier (au second plan) et la rainure dans le
poteau, où s’engageait la cloison de planches (flèche) ;
il lui correspond une rainure dans la panne.
Ces
assemblages se doublent fréquemment d’épaulements qui servent
d’appui afin que les pièces s’emboîtant l’une dans l’autre,
ne glissent pas
Fig.
7-3: tête de poteau où la panne bloque le couple poteau-tirant
en chevauchant l’about du tirant, chevillé et assemblé par un
tenon traversant sans clef.
Fig.
7-4 : idem mais la panne est posée sur la tête du poteau,
au niveau de l’assemblage chevillé également, où l’about du
tirant affleure à la surface de la tête du poteau
Fig.
7-5 : système comparable mais un léger chapeau sécurise
la liaison mi-bois entre les 2 pièces de la panne, l’une ancienne
l’autre récente moderne (réparation faite sans soin, la panne
moderne voit son about désengagé de l’ancienne)
Fig.
7-6 : ce système a été exceptionnellement rencontré en
Amikuze, dans une etxe de bois longs dont le nom est attesté
au XIVe siècle. Ici les poteaux ne montrent aucune trace
d’assemblage avec les entraits. Dans ce système, les extrémités
de ces entraits (t) chevauchent les pannes (ps).
L’entrait porte le poinçon (p) portant la faitière (pf).
Autrement dit, cette modalité n’implique pas que les poteaux
soient face à face, comme dans les portiques, ni strictement alignés
longitudinalement. Ce système ne tient donc pas compte des
travées.
Rien
ne permet d’estimer l’âge de cette modalité. Elle peut être
ancienne, mais tout se passe donc comme si elle était contemporaine
de l’ossature de bois longs.
Fig.7-7
: les enfourchements sont variés ; ils sont connus dès le
néolithique. Ce type d’assemblage permet de supporter les efforts
verticaux les plus importants, dans la mesure où la pièce porteuse
est de forte section. Il n’est pas surprenant d’y voir des pièces
s’y encastrer. Sous réserve de la qualité des bois des poteaux et
de leur dimension, un tel dispositif devrait être ancien. Connu du
moyen-âge européen, cette modalité offre une bonne résistance aux
forces de compression et de cisaillement. Gerner, qui le détaille,
le qualifie « d’assemblage au-dessus de la lierne, ouvert,
avec enfourchement et tenon traversant » (p. 184).
En voici un exemple pris dans une etxe de bois courts,
où les poteaux, de bien moindre section sont répartis par niveaux
autonomes et impliqués dans le port des étages successifs. Ces etxe
de bois court les plus courantes en campagne se rencontrent le plus
souvent dans des constructions à 1 ou à 2 étages. En milieu urbain
il peut en être autrement (bastide, Bayonne, etc.). Ici, en
principe, chaque poteau est pourvu d’une paire d’aisseliers
assemblés avec la panne qu’ils portent et qui est pourvue d’une
rainure où s’engagent les abouts des planches de la cloison.
En
voici une illustration dans une charpente de bois court au cœur de
Garazi. Cette etxe fut remaniée et agrandie par ajout d’une
nef latérale, et revêtue d’une chemise de maçonnerie (mais ses
proportions ne la trahissent pas, elles attirent immédiatement
l’attention). Le pied de ses poteaux est assemblé par
tenon-mortaise sur des sablières qui courent au sommet des 2 murs
porteurs encadrant l’eskaratze. Ces pièces ont une section
moindre que celle des bois longs. Leurs têtes montrent un assemblage
par enfourchement avec les entraits ; j’ai retrouvé ce
dispositif en Labourd, dans une etxe de bois long.
Au
niveau du tenon-traversant de l’entrait, on voit s’assembler des
abouts chevillés de deux consoles qui maintiennent l’écart entre
portiques successifs, définissant les travées. Notez comment le
sommet de ce poteau est assemblé sur la panne secondaire par
tenon-mortaise et fortement chevillé (*). Cette zone correspond à
un assemblage à mi-bois des pièces dont l’épaisseur est
différente, composant la panne secondaire.
Montage
burutina- faitière :
Fig.
8-1 : blottie au cœur d’un quartier historiquement ancien,
cette etxe est un recueil de procédés anciens noyés au sein
d’interventions multiples. Cette vénérable etxe est
actuellement revêtue d’une chemise maçonnerie qui ne peut masquer
ses nobles proportions. Elle attire immédiatement l’attention.
Bien
que de bois long, elle montre une file de poteaux centrale, dont
seule une travée conserve l’état ancien (Fig. 8). Elle est
encadrée par une donnant sur la façade et qui a été reprise (vers
le fond), celle du tout premier plan est relativement moderne (voir
la lourde panne neuve *). Son étude montre :
-
une panne faitière doublée par une longue sous-faitière qui s’insère (actuellement) dans le poteau par un tenon-traversant. Cet assemblage semble être contemporain de l’allongement de l’etxe, (entièrement en maçonnerie). Ce poteau est gizona et non burutina qui semble bien lié aux etxe des XVI-XVIIe, pourvues de murs porteurs (terminologie publiée par ailleurs)
-
du poteau part un long aisselier qui s’assemble à mi-bois avec cette sous-faitière pour rejoindre la faitière où il s’assemble par une demi-queue d’aronde chevillée. On voit un même dispositif dans le poteau voisin (en partie caché par une clioson).
Notez
la sablière sur le mur extérieur qui conserve des poteaux
(flèche) et leurs aisseliers (pointes de flèche) ;
on en devine ailleurs.
Fig.
8-2 : montage de croupe, appelée miru-buztana, en
bout de faitière, sur un burutin (maison labourdine de bourg
à file de poteau centrale, postérieure au XVIIe siècle). A titre
de curiosité, je signale que lorsque l’un des derniers maîtres de
cette etxe la vendit, dans l’acte figure le prix d’achat
tenant compte des messes à dire pour le repos de son âme.
Le
miru-buztana contre le mauvais temps, est une constante de ces
etxe. Dans les Landes de Gascogne cette croupe peut descendre
très bas. Jusqu’aux limites de la Soule, le mur ouest est sans
avant-toit. Sur la côte ce mur joue un rôle de bouclier et remonte
au-dessus du toit. A Xareta on voit (Fig. 12, 6° partie) une
très astucieuse solution du XVIIe siècle, où les solives sont
supprimées (la charpente ne pourrira pas) et où l’avant-toit sera
aussi supprimé (il ne sera pas arraché par les bourrasques).
On
note le départ des deux arêtiers, ou arbalétriers de croupe (que
des charpentiers de Xareta appellent aihena).
Montage
[poutres poteaux] :
Fig.
9-1 : about de poutre avec tenon traversant désassemblé ;
on a retiré la clef ainsi que les deux chevilles. On notera :
-
le trait correspondant à l’alignement sur l’arête du poteau
-
la brève encoche (*) soulignant l’arête du poteau (la flèche indique ainsi sa largeur)
-
le chanfrein sur la partie basse de la poutre (flèche), soit au niveau du plafond de l’eskaratze.
Fig.
9-2 : démontage de la charpente d’une jauregi
labourdin qui fut très souvent remanié. Cité en 1505, transformé
en ferme puis en atelier d’artisan, tout le premier étage fut
repris. De toutes ces interventions le jauregi ne conservait
(nettement), outre des témoignages anciens, qu’un portique avec
des restes de cloisons de planches. Au village on a entendu
dire qu’il serait la plus ancienne construction (douteux !).
J’ai pu en visiter une autre de même réputation, et constater de
mêmes portiques, des bras et des cloisons de planches, le tout
présentant les assemblages classiques (demi-queues d’aronde etc.
et autres traces d’assemblage visibles sur ce document mais que je
ne commenterai pas). Tout cela sans le moindre clou, me soulignait le
grand charpentier qui m’accompagnait et en détaillait le montage :
blocages par rainures pour cloisons, demi-queues d’aronde,
tenon-mortaise… de tels édifices étaient de gros meubles !
Image
des temps modernes, la dernière rénovation de ce jauregi fut
radicale. Le vieux portique vestigial fut retiré et jeté à la
décharge, comme le reste (et comme nous ?). Sa poutre fut sciée
à ras de son départ ; on voit le montage du tenon traversant
(*).
Le
Pays Basque est livré à l’inconséquence d’architectes devenus
de simples techniciens sans âme… par chance des artisans de
formation sont parfois là, comme on va le voir.
Fig.
9-3 : voici un exemple typique du Labourd, (mais il y a de
notables exceptions voir 7° partie Fig. 1). Dans notre
province les bas-côtés ont leurs planchers au même niveau que
celui de l’eskaratze. Par contre en Basse-Navarre il en va
différemment, les planchers des bas-côtés étant à un niveau plus
bas que celui du grenier. On voit cela d’entrée en façade (voir
3° partie, Fig. 4). Ce trait de style « labourdin »
se retrouve dans les œuvres de bois-court, comme ici aux limites de
la province (6° partie Fig. 2). On le retrouve en Hegoalde.
Il est général dans les Landes de Gascogne (gage d’une
ancienneté ? Façon de faire vasconne ?).
La
photo montre l’assemblage sur un poteau de portique (pt)
d’une poutre surmontant l’eskaratze (p 1) ;
elle s’engage dans l’épaisseur du poteau en reposant sur un
épaulement (flèche). On voit cela dans d’autres exemples
(Fig. 5, 8° partie, etc.). L’épaisseur de l’about du
tenon traversant (tt) reçoit la tête de la poutre qui vient
du mur du bas-côté (p 2) où, dans de rares exemples, qui
s’insère dans la tête d’un poteau extérieur par un tenon
traversant avec clef (comme dans les Landes de Gascogne). Cet about
(de p2) est creusé afin de s’emboîter dans la partie
saillante du tenon (tt : la clef fut supprimée :
erreur trop souvent répétée !). La poutre p 2 fut
ensuite incluse dans une cloison comblée par des briques.
Fig.
9-4 : montage comparable en Soule où l’on voit le même
principe mis en œuvre dans une structure dont le poteau porte la
toiture. L’extrémité du tenon traversant, avec sa clef, est
indiqué par une (*)
Fig.
9-5 : doubles liens et doubles aisseliers dans un très anciens
jauregi du Baztan dont la charpente fut remaniée (mais on ne
sait pas selon quel modèle ni selon quelle amplitude). Notez le
système du double aisselier (à droite), que l’on retrouve dans
les etxe des paysans. En revanche le double bras, assemblant
le départ de la poutre avec le poteau où elle est assemblée, n’a
pas été vu jusqu’ici. Ce double lien est en rapport avec le grand
volume de bois, limité par des cloisons de planches et des séries
de poteaux avec aisseliers. Cette formidable architecture en bois
surmonte le rez-de-chaussée qui en belle maçonnerie médiévale.
Tout ceci donne à ce jauregi l’allure d’une véritable
casa-torre comme on en voit ailleurs dans le Baztan.
Fig. 15 |
De
nombreuses maisons de bois longs ont de puissants avant-toits dont la
grande majorité fut raccourcie du fait de l’usure. Beaucoup de ces
etxe eurent des doubles jambes de force soutenant les abouts de
leurs pannes (l’une d’elles figure sur la Fig. 15).
Noter
ses arêtes sculptées des liens. On retrouve cela en Basse-Navarre.
La
Fig. 10 donne un résumé de ces montages. Il s’agit de la
face latérale d’un bâtiment en lanière, dans une bastide de la
fin du moyen-âge. Cette partie qui longe la rue est construite à
mi-bois, mais la façade qui donne sur la place est en pierre. On
retrouve ce genre de situation à Bayonne, où la façade donnant sur
le bord de la Nive (exposée à la vue de tous) est en maçonnerie
alors que celle donnant dans la rue Bourgneuf (sur l’arrière de la
maison) est à colombages. Son rez-de-chaussée est en maçonnerie, à
son sommet on voit les suites d’abouts des poutres supportant
l’étage (1) ; elles soulignent les travées (il y en a
6). Les abouts des poutres supportent la sablière basse (2).
Sur cette sablière sont assemblés (par tenon-mortaise) les pieds
des potelets de l’argamasa ; les plus forts d’entre
eux (3) sont assemblés avec les poutres isolant l’étage du
grenier et ce, par des tenons traversants (4) ; la tête
de ces potelets s’assemble enfin sur les pièces de la panne
extérieure (5) qui reçoit les abouts des chevrons de la
toiture.
Aperçu
sur l’histoire de l’encorbellement et l’aspect ancien (?) des
façades (bisaiak)
L’encorbellement
est un classique du corps central des etxe du grand
espace vascon, qu’elles soient de bois longs ou de bois courts. Il
semble bien qu’il ait fait partie de « l’etxe
vasconne la plus ancienne » ; il se projette au-dessus du
lorio et devait correspondre à une pièce d’habitation,
théoriquement plein Est, ouverte sous pignon.
Le
couple [encorbellement-lorio] a dû être un véritable trait
de style ; c’est peut-être la forme première qui inspirera les
hargin lorsqu’ils développeront gizatea aux
XVII-XVIIIe siècles (voir Etchandy & Duvert, 2018 ;
éd. Elkar).
Pour
avoir une idée de son histoire, partons des Fig. 10-1 et
10-2.
Fig.
10-1 : montage d’un encorbellement sur une petite etxe
labourdine (actuellement) en milieu urbain. Elle est enrobée dans
une lourde maçonnerie, à la manière d’un membre plâtré. Sa
façade est de bois courts. Cette etxe semble peu modifiée ;
elle fut souvent réparée à l’identique. L’encorbellement,
surmontant un petit lorio, fut supprimé, au début du XXe
siècle pour faire une cuisine. Il correspond, comme souvent, à une
chambre.
Une
traverse basse (tb - ou sablière de plancher) est assemblée
avec un court poteau (pt) lequel est posé sur un socle de
pierre. Ces deux pièces sont solidarisées par un bras (br)
assemblé par des demi-queues d’aronde chevillées. La traverse
basse (tb) supporte les abouts de solives (sur lesquelles est
fixé le plancher) dont les abouts portent la sablière basse (sb
-ou sablière de chambrée). A ses deux extrémités, cette
dernière est assemblée avec un poteau cornier (pc) ainsi
qu’avec la solive de rive (sr).
La
tête du poteau cornier d’étage est pourvue d’un tenon qui
s’assemble dans la solive de rive assujétissant à son tour la
sablière basse (système classique visible sur une partie altérée,
Fig. 11, 1° partie, où le pied du cornier montre une sorte
d’entablure d’angle, taillée dans la moitié de son épaisseur).
L’about de cette solive est soulagé par un pigeâtre (pi)
assemblé (comme toujours) par tenon mortaise à chaque extrémité.
Notez bien que le système tenon-mortaise est mis en œuvre dans les
parties opposées à tout déplacement et soumises à des forces de
compression, alors que partout ailleurs règne généralement le
système de la demi-queue d’aronde (ou dévêtissement latéral)
s’opposant au cisaillement comme aux tractions.
Dans
d’autres montages, ce poteau cornier est solidarisé avec le poteau
suivant, par une entretoise et il est assemblé, dès sa base, par un
aisselier qui monte vers la panne secondaire (voir : 3°partie,
Fig. 2). Le cornier peut être également lié à la console et à
la panne, par une sorte de contre-fiche assemblée par des
demi-queues d’aronde chevillées (3° partie, Fig. 2).
Fig. 10-2 |
Fig.
10-2 : même situation mais en Ostabarret. Derrière la nouvelle
façade de cette etxe de bois long, aujourd’hui enrobée
dans une (quelconque) maçonnerie crépie, se voit l’ancienne
ossature de bois long. Elle est remarquablement intacte. Prise comme
l’insecte pris dans l’ambre, elle conserve le montage de
l’encorbellement (l’intervalle est indiqué par un segment
avec flèches).
Ce
montage est des plus classiques et correspond toujours à une chambre
surmontant l’ancien lorio. La photo montre l’un des
poteaux (pt) du portique de l’ancienne façade. On y voit le
pigeâtre (pi), la traverse basse (tb) qui est la
poutre du portique, assemblée latéralement sur le poteau, ainsi que
le départ de l’aisselier (ai) qui est supprimé. On voit
également la trace d’un autre lien supprimé (* sur la poutre) ;
il s’assemblait également à la solive de rive (sr) pour
monter jusqu’à la panne secondaire portée par la tête du poteau.
Notez
que cette charpente est peinte (c’est là un thème que je n’aborde
pas, mais on ne saurait ignorer que toute cette charpente, désignée
par des allusions au corps humain —vocabulaire et expressions
publiées par ailleurs —, était souvent passée au sang de bœuf.
Au sang dans le corps de l’etxe …).
En
fait l’histoire de l’encorbellement est toute en nuances. En
voici quelques exemples, ils s’inscrivent dans une dynamique qui
reste à préciser et qui ne concerne que les ossatures de bois longs
et courts.
Fig. 10-3 |
Fig.
10-4 : montage qui souligne ce qui fut l’emplacement de
l’encorbellement (Basse-Navarre). Ce dispositif semble assez
authentique encore qu’il puisse avoir été prolongé par un
balcon. Le mérite de cette figure est double : cette
ancienne ossature n’est pas pourvue d’un encorbellement en
relief.
-
elle montre un trait fort ancien qui, depuis la fin de la guerre, disparaît au profit de mur avec pigeonniers (ouvertures triangulaires factices dans le néo-basque) : le pignon est ouvert. Ainsi, avec les prises d’air latérales au sommet des murs gouttereaux, il fait que, dans ces greniers, règne un violent courant d’air propice au séchage des récoltes (celui est monté dans un grenier de ces vastes etxe du Baztan, sait de quoi je parle !).
Fig. 10.5 |
- Fig. 10-5 : De bois longs, cette vaste etxe est au cœur d’un ancien quartier labourdin où l’on retrouve ce type de structure mais inclus dans la maçonnerie. On y voit l’encorbellement transformé en trait de style. Il est comme souligné par la forme même donnée lors de l’équarrissage du poteau du portique. Cette sorte de variation en épaisseur se voit ailleurs, comme dans de longues pièces ; ainsi des abouts de pannes supportant l’avant-toit (à Xareta au moins, voir la maison Ortillopitz).
-
On aperçoit également une partie du montage du bas-côté sud ; il est plus bas que le plafond de l’eskaratze (ce qui n’est pas commun en Labourd).
-
On notera que cette charpente conserve une grande partie des sculptures sur la sablière basse (tradition bien connue dans le secteur). Elles sont probablement d’origine et dans un état de fraîcheur assez surprenant.
Fig.
10, etxe 6 &7 : du montage de l’encorbellement
en bois, aux corbeaux de pierre
La
maison au second plan (6) montre une technique
ancienne dans son principe. Sa façade est sous pignon, elle est
pourvue d’un encorbellement soutenu par une jambe de force en bois.
La
troisième maison (7) a une façade sous
pignon typique de ces constructions qui ne sauraient être
antérieures au XVIIe siècle. L’encorbellement est
réduit, mais (surtout) il est encadré par les murs de refend dont
la base définit des corbeaux travaillés. Ici l’ancien support en
bois est abandonné. C’est là un dispositif qui a été étudié
par ailleurs ; il traversera les temps ; il sera repris par
le néo-basque jusque dans les maisons actuelles, y compris les pires
(l’administration refusant même des permis de construire faute
d’avoir mis des corbeaux sur les façades …)
-
Deux observations :
-
1) il fut conservé longtemps (dans les etxe à 1, 2 ou 3 corps) au point de s’imposer comme trait de style. Cependant, à la fin du moyen-âge et plus encore, avec les maçons, il perdit en profondeur ; et se convertit en trait de style, les anciens pigeâtres étant remplacés par des corbeaux de pierre lesquels deviendront partie prenante des murs de refend.
-
2) le vieux panneau rectangulaire que forment les potelets corniers et les deux sablières, continuait de reprendre une grande partie de la charge de la toiture et de la reporter sur les supports du rez-de-chaussée (poteaux ou murs). Ce cadre (façade de l’encorbellement) était en place dès le XVIe siècle comme je l’ai vu sur une charpenterie exceptionnellement datée. Avec le temps il servira de matrice dans l’élaboration du colombage à des fins purement décoratives. Il ne recevra pas pour autant de nom particulier. Il y a ainsi des parties de charpente qui n’ont pas de nom générique : « on les a forcément dans la tête, on connaît leur rôle et on les répare en conséquence », c’est ce que me disait un charpentier labourdin qui, à la suite de sa famille, est intervenu sur un bon nombre de ces etxe.
Ces
exemples nous confortent dans l’idée :
-
que les modèles anciens avaient valeur de matrice.
-
que les façons de faire propres aux charpentiers, ont pesé de tout leur poids dans l’évolution du bâti.
Notes
sur des etxe aux charpentes particulières
Il
existe dans notre pays bien des types de charpentes de grande
technicité : celles de toit d’édifice circulaire (de moulin par
exemple) ; celles de châteaux bien connus ; des plafonds
de bois suspendus, dans des chapelles particulières de manoirs ou
des voûtes suspendues dans de petites églises romanes de village
(en Soule), etc.… Toutes ces œuvres entrent en résonance avec de
grands traités de charpenterie, comme dans
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85643r/f2.item.zoom,
le traité de Mathurin Jousse : « L’art
de la charpenterie : corrigé & augmenté de ce qu’il y a
de plus curieux dans cet art & des machines les plus nécessaires
à un charpentier »,
Paris MDCCIL.
Voici
deux exemples de charpentes de toit qui, soit ne relèvent pas des
ossatures décrites jusqu’ici, soit montrent l’emploi d’une
charpenterie savante au cœur des montagnes labourdines.
Fig.
11 : demi-enrayure d’une croupe de charpente de toit,
actuellement classique en Haute-Soule. Comme dans tant de pays
de montagne, connaissant la neige, ces charpentes légères ont une
forte élévation mais une faible portée. Leur charpente de petites
etxe peu profondes est ajustée à ces contraintes
climatiques.
Cette
figure est d’intérêt car cette construction n’aurait pas été
affectée par les générations immédiatement antérieures à ce que
m’ont dit ses maîtres actuels (« la famille l’a
toujours connue ainsi »). On voit les trois arêtiers qui
s’épanouissent depuis la tête du poinçon, lequel repose sur le
faux-entrait par un tenon traversant assujetti avec une clef ;
cette base est solidarisée avec l’arbalétrier de croupe, par un
ensemble de pièces. Le tout est une demi-enrayure (elle dessine un
triangle). On voit l’enrayure complète dans des couvertures de
rares moulins à vent de Basse-Soule, aujourd’hui ruinés.
La
construction des enrayures n’a pas rendu caduque les assemblages
décrits jusqu’ici dans les grandes etxe labourdines et
bas-navarraises ; parfois même les ossatures s’y retrouvent
(publié par ailleurs). De ce point de vue, le savoir du mahisturu
souletin prolonge celui de ses collègues ; la charpente
souletine « classique » (actuelle) n’est qu’une
modalité de la charpente Vasconne. Le problème central ici, est de
raccorder ce type de charpente courante à celle de ces autres
(rares ?) etxe à ossature de bois, avec entrée sous
pignon et à celle des autres petites etxe à étage qui
restent à identifier.
Fig.
12 : maison noble dont le linteau gravé indique 1786. Cette
vaste et belle demeure (sol de tomettes, lambris moulurés, belles
cheminées, etc.) possède un toit à quatre pentes dont la faîtière
est portée par une rangée de poteaux. Entre autres dispositifs bien
connus des charpentes non basques, des XIX-XXe siècles, ils sont
solidarisés par un jeu de traverses unies par des croix de saint
André. Cette façon de faire fut classique dans les charpentes de
manoirs au XVIIIe siècle, puis dans les grandes maisons bourgeoises
plus tardives, au toit à 4 pentes (en Gascogne par exemple mais où
la triangulation est de mise, ce qui n’est pas le cas en
terre basque. Ici le grenier est libre, on n’a pas de poutres à
enjamber et le paysan peut même y entrer en tracteur !)
Ce
dernier exemple montre qu’à la fin du XVIIIe siècle les Basques
mettaient toujours en forme des espaces ouverts. Seule
concession au modernisme, l’utilisation de véritables
arbalétriers, supportant les pannes bloquées par des échantignoles.
Cet
exemple prolonge et amplifie celui évoqué lors de la présentation
de la Fig. 9-5. On y voit le soin extrême apporté à
l’exécution ainsi qu’à l’actualité de cette charpenterie.
Ceci suggère qu’il y eut une frange de véritables charpentiers
professionnels dont les commandes répondaient à la satisfaction
des classes sociales dirigeantes. Est-ce une voie privilégiée
permettant l’introduction de nouveaux styles qui purent être
copiés par la suite… ?
|
Fig. 9-5 |
Ceci
dit, tout se passe comme si les nobles et les paysans vivaient dans
des demeures bâties par les mêmes charpentiers. Je signale aussi
que ces mêmes nobles avaient des stèles discoïdales comme celles
du commun, à ceci près que celles des nobles ont des
représentations qui sont celles de leur milieu (blason, chevalier
…).
Pour
conclure cette présentation
Voici
trois exemples qui prolongent notre réflexion.
Fig.
14 : maison incluse en entier dans une maçonnerie
d’une parfaite banalité, car sa chemise de parpaings crépis
masque tout détail extérieur et englobe notamment son bel
encorbellement. Caché dans les méandres des collines de
l’Ostabarret, tournant le dos au chemin actuel, ses proportions ne
trompent pas. Le dessin donne son élévation au niveau d’un
portique. Les relevés du (1 à 4) bas montrent, de
gauche à droite : 1) le cornier S-W, vu de côté ;
2) le même vu de la face extérieure ; 3) le
cornier N-W toujours vu de la face extérieure ; 4) le même
vu de côté. Notez le léger avant-toit.
Cette
ossature mérite que l’on s’y attarde car elle offre deux modes
de liaisons [tête de poteau-tirant-panne] : 1) dans le
corps du bâtiment, les pannes sont simplement posées sur les
abouts des tirants posés sur les têtes des poteaux assemblées
relevé du haut ; 2) dans la travée postérieure il n’en
est pas de même ; les pannes sont posées les abouts des
tirants qui sont engagés dans les têtes des corniers (qui sont
donc légèrement plus grands). Ces détails sont loin d’être
insignifiants. Le système à travées, qui serait apparu tôt au
Moyen-âge « ne doit pas véritablement se diffuser dans le
monde rural avant les XII-XIIIe siècles » (Chapelot et
Fossier). C’est alors que ce système, couplé à la ferme
(laquelle est exclue par les Basques au profit du couple
entrait-poinçon, puis du burutin), marquera l’essor de la
grande architecture à pan de bois, pourvue de murs porteurs et de
supports intérieurs.
-
Comment et où vivait-on dans une telle maison ?
Fig. 15 |
Fig. 15 : élévation latérale dans le corps central d’une etxe bas-navarraise (Labourd); seules figurent les deux premières travées car au-delà il y avait trop d’incertitudes. De même les matériaux entrant dans l’intervalle entre des portiques au niveau du rez-de-chaussée ne sont pas indiqués (il y avait un mélange de pierres sèches et d’argamasa). Cette belle et grande etxe était en très mauvais état ; elle est aujourd’hui abattue. Tout porte à penser qu’en dépit d’interventions variées, elle avait conservé une ossature ancienne. Elle possédait également un pressoir, correspondant à une des pièces du bas-côté S (beaucoup d’etxe de Xareta sont dans ce cas).
-
Comme précédemment, on ne voit pas de trace de lorio. Cette partie n’était donc pas obligatoire ? Ou passée de mode ?
Fig.
16 : voici une etxe de bois courts en Baztan. Le tirant du
portique de façade porte un balcon.
Comme
on le voit, dans le Zazpiak bat, la charpenterie Basque
présente bien des variantes qu’il faudrait mettre en résonnance
avec celles des Pays Vascons afin d’en saisir le sens et la
dynamique. Attendons la recherche …
On
ne sait rien sur la diversité de ces etxe qui sont pourtant à
la source même de l’histoire de nos maisons… Elles disparaissent
lentement sous nos yeux alors que s’écrit, se recopie et se vend,
une foule de livres inutiles (si ce n’est nocifs) sur « le
style basque » !
« Zazpi
puñalada dodaz
neure
gorputzian,
zortzigarrena
daraukat
bihotzaren
erdian ».
(Extrait
d’une vieille balade recueillie à Bermeo)
3°Quelques
assemblages
L’intérêt
pour l’étude des charpentes démontées, dont on connaît la
provenance, est évident, d’autant plus que certaines d’entre
elles devraient se prêter facilement à une étude
dendrochronologique (Fig. a)
Terminologie :
Selon
les auteurs, on aurait identifié en Europe, un peu moins d’un
millier d’assemblages. Le thème est disputé car peu d’entre eux
sont véritablement des formes fondamentales ; par
ailleurs la nomenclature a pris une tournure baroque. C’est ainsi
qu’à l’heure de divulguer les observations, leur terminologie
pose un réel problème. Il faut dire que les mahisturu rencontrés
furent en général très économes en terminologie. Par ailleurs
certains étaient habitués à ce qu’ils appellent « le
langage de chantier », alors que d’autres basquisaient
les mots français. Et puis j’entendais dire : « à quoi
bon donner un nom précis à telle ou telle partie que tout le monde
a en tête !». Enfin, aucune académie n’avait
officialisé les concepts basques : l’encyclopédie sur la
charpenterie basque est à faire.
Pour
des raisons de simple pédagogie, je vais donc être très économe
en terminologie. Dans ce texte j’utiliserai une terminologie en
français (les divers termes et expressions en euskara ont été
publiés par ailleurs). D’où vient cette terminologie ? Un
prévôt des Compagnons du devoir (qui tint à garder l’anonymat)
me fit l’honneur et l’amitié de me rédiger un lexique détaillé.
Ceci me permit de vérifier (ce que d’autres lexiques indiquaient)
que les termes et expressions recueillis auprès des charpentiers
Basques n’avaient aucun rapport avec ce que j’entendais en
euskara. Tout se passait comme si le monde conceptuel des mahisturu
(et leur art ?) avait bien une place et qu’elle était
originale en Europe. Cette constatation me persuada que je devais
étudier notre charpenterie ancienne en elle-même,
PUIS la comparer à ce qui se faisait ailleurs
et notamment dans le Pays Vascon (avec lequel nous partageons tant de
traits fondamentaux).
Méthode d’étude
:
Grâce
au soin apporté à la réalisation ainsi qu’à l’entretien des
assemblages vus en cours de recherche, beaucoup sont restés
lisibles, mais leur compréhension reste parfois embrouillée pour le
profane. C’est ainsi que dans l’atelier de J-B Urruty on pouvait
voir des traits de Jupiter particulièrement soignés ;
une fois en place, ils ne laissent guère soupçonner leur extrême
précision.
De
tels assemblages, sont-ils « anciens » ? Beaucoup sont
récents, issus de réparations effectuées parfois « à
l’identique » et qui plus est, en utilisant des bois anciens,
de récupération (« on n’avait pas besoin de les
retailler et ils avaient la patine de l’ancien »). C’est
ainsi que j’ai prêté une grande attention aux des charpentes
déposées lors de réfections ou de restaurations, en m’assurant
du degré d’ancienneté du bâti d’où elle provenait (mais les
réparations biaisent cet échantillonnage et sa datation ne peut
être qu’allusive). De toutes les façons, seul l’œil exercé de
l’artisan fut mon guide.
Une
fois identifiés, les assemblages doivent être appréciés (rôle,
apparentement …). Pour cela, je ferai référence à une
littérature spécialisée portant sur des toitures et des voûtes
d’églises de la fin XIe, ainsi que sur des constructions du XIIIe
siècles, sur des granges à poteaux porteurs des XI-XIIIe siècles
(notamment cisterciennes), etc. Outre des monographies techniques, je
citerai en particulier :
-
Pour l’Europe : la synthèse de Chapelot et Fossier ; les travaux d’Epaud, notamment l’étude fouillée portant sur la charpenterie romano-gothique de la cathédrale Notre Dame de Bayeux
-
Pour les Pyrénées au sens large : le dossier collectif, Les charpentiers en Lavedan et pays voisins, sous l’Ancien régime et la bibliographie
En
ce qui concerne l’art domestique du Zazpiak
bat,
je renvoie à la grande publication d’Aspiazu & col. qui ont
totalement démonté un garaixe
(ancien grenier en bois sur pilotis) pour le restaurer. Ils ont pu
alors étudier de près un très grand nombre d’assemblages
lesquels sont
des plus sophistiqués
et
n’ont rien à envier
à
ce qui se faisait de mieux dans l’Europe des charpentiers
(mais qui donc connaît de tels travaux qui ne sont jamais cités
?). Quitte à agacer, je signale la grange sur pilotis, édifiée
près des berges, en Gascogne au moins. On l’appelle pailhét
ou
paillet. Simple analogie, sans rapport avec les garaixe ?
(http://gasconha.com/spip.php?page=loc&id_loc=12179).
Edifice rare, de charpenterie sur pilotis, quelques exemplaires
récents (XIXe
siècle au moins ?) font l’objet de restauration.
L’art
sacré en matière de charpenterie, fut étudié de façon magistrale
par Santana. Cet auteur nous fait connaître des maîtres
(spécialisés dans le tracé et/ou dans la réalisation) dont
certains élevèrent des œuvres uniques, comme les fameuses coupoles
en bois de Saint Martin d’Urretxu (Gipuzcoa) etc. Cette étude rare
nous fait connaître une tradition d’une spectaculaire originalité
et largement inconnue du grand public. Elle confirme, si besoin, le
très haut degré de sophistication atteint par la charpenterie
basque, en particulier au milieu du XVIe siècle (« El arte
de la madera. La carpinteria de armar en las iglesias del Pais
vasco », in : Ars lignea, éd. Electa, 1996, p. 47-96
& relevés ainsi qu’illustrations).
-
Pour le reste, je cite le travail de terrain de deux architectes M. Berger et J-P Martiquet : Le bâti ancien en Pays Basque/Lehengo etxegintza Euskal herrian (1981), EDF, Paris.
Cette
littérature conforte dans l’idée que la charpente Basque
s’intègre dans un savoir largement répandu en Europe. Le
Zazpiak bat ne fut jamais un isolat, jamais !
Fig. b |
Fig.
b : pied de contrefiche dont l’embrèvement est renforcé
par une cheville (le corps de cette etxe est du XVIIe siècle
au moins).
Fig. c |
Fig.
c : charpente d’une etxe de karrika qui fut
incendiée probablement au XVIIe siècle, lors de raids attestés des
armées espagnoles. Mêlée à la maçonnerie, elle a conservé une
partie du système ancien qui est réparé par des pièces jouant le
rôle de cales. L’intérêt de cette figure réside également dans
le faux entrait (la pièce qui s’assemble plus bas et non
sur la tête du poteau) qui s’assemble par un tenon-traversant (que
l’on aperçoit, *). Le vieux poteau porte un chapeau qui soutient
des pièces anciennes assemblées à mi-bois (ou enture droite,
flèche). A leur tour, ces pannes portent les cales.
Fig.
d : dispositif comparable à Xareta, mais ici nous sommes en
présence d’une belle restauration actuelle, conservant au maximum
le dispositif ancien. Si des segments furent coupés, c’est qu’ils
étaient pourris. Le charpentier et ses jeunes aides étaient
parfaitement conscients de l’œuvre qu’ils restauraient avec une
grande vigilance. Grâce à eux ce grand témoin est des plus
lisibles et parfaitement respecté.
Fig. e |
Fig.
e : pièce d’une très ancienne etxe labourdine,
construite en bordure de galzada, proche de la maison Ospitale
zaharra, près de l’église (qui fut un gaztelu transformé
en jauregi seigneurial). C’est probablement une partie de sa
panne faitière. Les deux entailles obliques du premier plan doivent
correspondre à l’assemblage sommital des abouts d’une paire de
chevrons. L’autre semble être une entaillure d’angle. Ce type
d’assemblage se rattache à la grande famille des assemblages
par entaille. La profondeur de l’entaille est estimée en
fonction de la charge supportée ; elle est théoriquement de la
moitié de l’épaisseur de chaque pièce (voir les rares croix de
saint André, les assemblages [aisseliers-traverses horizontales],
etc.).
Fig. f |
Fig.
f : blocage d’un chevron sur une panne (Labourd, Baztan
…) ; sur sa face inférieure on voit la rainure (*) où
s’engageait la cloison de planches.
Ce
système de blocage par goujon (flèche) empêche la panne de
glisser. Il est universel. Il me semble être le plus authentique de
ceux que j’ai vus (comme ces sortes d’échantignoles qui
ressemblent à du bricolage). Cette habitude de sécuriser par des
goujons se retrouve même en façade où des abouts de solives sont
chevillés, de façon bien peu discrète, avec la sablière basse (je
donne de nombreux exemples). Parfois ces vieux maîtres enfonçaient
une cheville au cœur de parties sculptées ; ils n’avaient
certainement pas la même approche esthétique que nous…
Fig. g |
Fig.
g : enture oblique posée sur un somment de poteau
extérieur pris dans la maçonnerie (flèche). Cet assemblage
peu stable, connaît des variantes qui furent souvent utilisées
(avec épaulements, crantées, etc.). Tout autres sont les
assemblages à tenon-mortaise sur arête (Fig. 3-2) ;
leur exécution (taille et ajustement, ici avec un bédane) n’est
certainement pas banale…
Il
existe un grand nombre de variantes d’entures de traction, à
tenons, elles ne seront pas décrites (voir Fig.) : entures
droites avec double tenon ; classiques tenons traversant avec 1
ou 2 goupilles ; tenon oblique (pour jambe de force, pour
pigeâtre …). Dans l’une de ces variantes de l’entrée du XVIIe
siècle, on voit des entures de mi-bois à double tenon. Il y
eut probablement des entures à tenons croisés (réparations ?
allongement de pièces porteuses ?) De même on peut voir de
rares entures à trait de Jupiter avec clef, comme j’en ai vu faire
dans l’atelier de J-B Urruty.
L’embrèvement
est un assemblage transversal, une entaille exécutée dans le
sens perpendiculaire aux fibres, afin de recevoir l’about d’une
autre pièce placée obliquement (une contrefiche par exemple). De
tous les types d’assemblages examinés ici, on dit que les
embrèvements seraient les plus tardifs, ils seraient utilisés à
partir du XIIIe siècle.
Fig. i |
Fig. j |
Fig. k |
On
voit aussi des embrèvements où un tenon, sur l’about, contribue à
assujettir la transmission des contraintes (Fig. i, j &
k). Dans certains des assemblages illustrés, l’assemblage
oblique à tenon-mortaise est solidarisé par une cheville (voir
aussi 2° partie, Fig. 6, où l’on a un embrèvement
transversal, en about avec cheville permettant une
stabilité lors de forces de compressions variables. C’est le type
d’assemblage simple rencontré très tôt dans les charpentes
européennes et largement mis en œuvre dans la période médiévale
(notamment pour les contrefiches). Pratiquée dans une mortaise (dans
ses joues) l’embrèvement évite le glissement éventuel de la
pièce qui peut être pourvue du tenon (selon l’axe des fibres) ;
son extrémité étant alors taillée afin de s’ajuster à cette
entaille.
Fig.
l, m & n: les queues d’aronde asymétriques à
mi-bois, avec embrèvement (ou entablure à demi-queue d’aronde).
Dans la charpenterie basque dominent ces demi-queues d’aronde dont
un côté est rectiligne alors que l’autre possède des épaulements
ou crans, et dont le profilé va se réduisant vers son extrémité.
Dans ce mode d’assemblage les pièces sont liées tout en résistant
aux contraintes dues aux tractions et aux compressions. Chevillé, il
s’oppose à tout déplacement latéral ; d’une manière
générale, tous ceux qui sont en place dans des etxe
entretenues ne montrent aucun déboîtement, aucune trace
d’arrachement. Cet embrèvement présente plusieurs modalités. Le
contour (le profilé) de l’un des côtés est comme une signature
qui a plusieurs interprétations. La demi-queue d’aronde reste
superficielle, elle ne traverse pas toute l’épaisseur de la pièce
porteuse laquelle conserve une largeur proche de celle d’origine.
Très utilisé jusque dans le XVIe siècle européen
engagé.
Fig.
l : exemple représentatif de demi-queues d’aronde dans
une vieille etxe de bois longs en Labourd (on en voit rarement
ainsi dans les deux autres provinces d’Iparralde). Ce puissant
assemblage (noter la main qui donne l’échelle) provient d’un
bras unissant le poteau à une poutre et qui a été coupé.
Fig.
m : panneau de façade de maison du Labourd oriental, dont le
colombage fut souvent repris. On a du supprimer un encorbellement, on
en voit le potelet s’engageant par un tenon sur la mortaise d’une
ancienne solive de rive dont l’about fut scié (*). Noter le lien
unissant ce potelet à la sablière haute, l’assemblage à
demi-queue d’aronde est plus que simplifié (et refait ?), il
faut dire qu’il subit de bien plus légères contraintes. Une
interrogation de portée générale : cet assemblage a-t-il été
réalisé par un charpentier assuré ou par un « novice » ?
Fig.
n : maison à mi-bois en Garazi. Notez :
-
la simplification du profilé des demi-queues d’aronde (le Labourd
a les plus complexes ; les plus récentes sont quasiment
toujours sommaires)
-
les marques d’assemblage.
Certains
de ces assemblages, peuvent-ils être reliés à des lieux, à des
époques, comme les ossatures le sont ? Non, il y a là beaucoup trop
de simples analogies, de copies de répétitions.
Toutes
ces etxe ne cessèrent d’être remaniées au cours des
temps, traduisant l’empreinte des plus habiles comme des plus
maladroits. Par ailleurs, outre les aménagements de toutes sortes,
il y eut des interventions que nous avons du mal à saisir, faute de
connaître les engins de levage des ossatures. Dans certaines etxe,
les maîtres des lieux attirèrent mon attention sur des poutres qui
furent changées (on a donc pu déplacer les poteaux, retailler de
nouvelles mortaises, etc. On pouvait donc intervenir sur des
ossatures, tout en conservant leurs poteaux vraisemblablement en
place, (dès le XVIe siècle semble-t-il. Avec quels moyens ?).
Prenons deux exemples :
Fig. 4-3 |
-
le premier est relié à une situation très hypothétique (Fg. 4-3) : on a manifestement rabaissé le plancher du grenier (qui était aussi le plafond de l’eskaratze). Ce faisant, on a laissé en place la racine des anciennes poutres ainsi que leurs doubles liens (*). On voit bien, au premier plan, la rainure dans la panne (qui fut changée) ainsi que dans la console, où s’engageaient les extrémités des planches de la cloison ; ces planches furent supprimées au profit d’une maçonnerie (bien trop lourde, ce qui est malheureusement classique !).
-
on peut tenir pour assuré qu’au moins dans un contexte de réparation, on retaillait les demi-queues d’aronde. On en fait encore à notre époque (des gabarits existent dans des ateliers, comme chez Urruty par exemple). Les plus belles, les plus soignées et les plus complexes de ces demi-queues d’arondes se trouvent, sans aucun doute, dans le Baztan comme dans le Labourd ancien… (Fig. 11 & 1 respectivement).
Fig. 1 |
L’habileté du zurgin se voit dans la manière dont il résout le problème rencontré, dans la façon dont il applique un modèle théorique (un procédé connu de tous). L’artisan est un improvisateur, un créateur. Son œuvre porte en quelque sorte sa signature ; on reconnaît sa main. Le monde industriel n’a pas besoin de lui ; ses catalogues nous enferment dans l’inconséquence comme dans l’uniformité. En matière d’architecture comme d’urbanisme, il nous faut exister et donc innover. Il nous faut sans cesse nous interroger et ne plus nous laisser envahir par cette mortelle insignifiance que distille le tourisme de masse. Mais pour cela il faut nous interroger en profondeur sur notre trajectoire historique, abandonner toute sorte de cliché. Manex Pagola disait justement : « nous manquons de recherche dans le monde culturel de ce pays. Les choses ne sont pas assez approfondies, alors que c’est primordial. Ce n’est pas un caprice, mais une question de vie ou de mort ».
Je
mets un terme à cette étude avec le souvenir de celui qui m’a
tout appris, J-B Urruty mahisturu à Masparraute (Fig. p).
-
dans notre cas, ce qualificatif n’est utilisé que par simple commodité et par fidélité vis-à-vis des anciens géographes. Relayant le monde gréco-romain, les basiliques byzantines essaimèrent. Ce sont fondamentalement des édifices publics qui finiront par éclore en sanctuaires de « style roman », sous la houlette des bâtisseurs bénédictins. Ces basiliques paléochrétiennes se présentent essentiellement sous la forme de salles rectangulaires, soit d’un seul vaisseau, soit de plusieurs nefs divisées dans le sens de la longueur par des files parallèles de supports (colonnes ou piliers …). Leur toit à 2 pentes couvre la nef centrale ; il repose sur une charpente apparente ou sur s’autres systèmes (voûtes, coupoles …).
L’histoire
de ces édifices est très riche et des plus complexes. Elle est sans
rapport avec celle de nos etxe, dont le plan du couple-lorio
eskaratze (un espace divisé en travées par les piliers portant
la charpente) relève de la simple analogie. C’est dire si ce
qualificatif est trompeur.